• Lá Pádraig

     

    Image tirée des images Clipart de Word

    Selia O’Ceallaigh sortit de la douceur chaleur de son lit et des bras de son époux. Elle lança un regard au calendrier dont la date était entourée grâce à un trèfle à trois feuilles. Elle sentit son cœur se serrer alors qu’elle se penchait sur l’appui de fenêtre. Elle leva la fenêtre à guillotine et regarda les beaux paysages de France. Ça faisait neuf mois qu’elle était ici, qu’elle respirait l’air français, qu’elle entendait les accents des oiseaux de France mais aussi qu’elle subissait leur pollution.
    Si elle s’était habituée à ce climat plus doux, moins pluvieux, et à cette nourriture tout comme à ces gens, aujourd’hui était un jour différent. En ce jour bénit de sa nation, elle s’en sentait bien trop loin. Pourtant, c’était le jour le plus important chez eux. Il aurait dû y avoir des parades, des chants et des danses traditionnelles. Elle aurait encore profité de l’occasion pour que quelqu’un d’autre cuisine pour elle et pour faire acte de gloutonneries. Au lieu de quoi, les coudes appuyés sur le marbre devant sa fenêtre, elle soupirait.
    En ce jour, la France n’était plus la terre accueillante qu’elle avait toujours été. Aujourd’hui, elle n’était pas ravie d’avoir immigré.
    - Selia ? grommela son mari en tapotant la place vacante à côté de lui.
    - Je suis là.
    Elle revint vers lui et s’assit sur le bord du lit. Elle se pencha et lui embrassa le coin des lèvres. Il leva la main et lui caressa les cheveux en souriant. Il se redressa dans le lit et l’embrassa doucement.
    - Tu ne sembles pas de bonne humeur. Remarqua-t-il alors.
    - C’est juste… On est le dix-sept Mars… Chuchota-t-elle.
    - Oh… Eh bien… ! J’ai intérêt à vite mettre du vert avant que tu ne me pinces ! Rit-il en se redressant.
    - Eaclain…
    - Rien ne nous empêche de fêter la Saint-Patrick. Sourit-il en caressant sa joue.
    Les yeux bleus profonds de la jeune femme se mirent à pétiller tout à coup. Elle se pencha sur lui et l’enlaça en souriant de toutes ses dents. Il la resserra contre son torse peu musclé puis embrassa doucement sa tempe.
    - Je file me préparer ! s’écria-t-elle.
    Elle se redressa, fila vers sa penderie et s’empara de quelques vêtements avant de courir s’enfermer dans la salle de bain. Eaclain soupira, amusé. Il se redressa en s’étirant. Il sortit de son lit à son tour et s’habilla rapidement d’un jeans beige et d’un t-shirt vert comme la forêt.
    Il chercha après un pin’s blanc marqué d’un trèfle irlandais qu’il épingla à sa tenue. Il descendit ensuite dans la cuisine pour préparer du cacao chaud. Il se hâta aussi de casser des œufs pour faire cuire des omelettes dans une vieille poêle beurrée au préalable. Il fit chauffer du café dans le percolateur et mit rapidement la table.
    Il posa sur la table, devant chaque petite assiette, un pin’s comme lui-même en avait un. Il revint vers les fourneaux et termina rapidement ses plats. Il sourit en pensant que sa femme aurait réussi à calciner les œufs et que son lait aurait certainement accroché dans le poêlon. Mais ça ne l’étonnait qu’à peine, en fait. Sa douce Selia ne tenait pas en place et ça provoquait toujours d’étranges accidents culinaires.
    Il terminait de mettre des œufs brouillés dans l’une des assiettes lorsqu’il vit apparaître un petit garçon de dix ans. Il sourit et vint jusqu’à lui pour lui faire la bise. Mais il en profita aussi pour lui pincer doucement la joue.
    - Eh ! s’écria l’enfant.
    - Pas de vert, petite tête de mule !
    - Oh ?
    - On est le dix-sept mars.
    - Oh oui !
    Sur ces mots, l’enfant grimpa les escaliers à nouveau, croisant au passage sa cadette de trois ans. Celle-ci trottina vers son père. Il sourit et la prit dans ses bras pour la faire tournoyer. Il la reposa en riant. Pour elle, pas de pincement. Elle avait de beaux rubans verts dans ses cheveux et elle portait sa jupe rose constellée de trèfles.
    - Tu veux un pin’s toi aussi, Lynn ?
    - Bien sûr !
    Lynn sautilla sur place en attendant que son père lui accroche le badge. L’homme eut d’ailleurs bien du mal tant elle trépignait. Mais il finit par réussir à lui mettre ce trèfle en place. Il l’aida alors à s’installer à sa place. Elle s’empressa de manger.
    - Je parlerais de la Saint-Patrick à toutes mes amies ! Elles aimeront ! s’écria la gamine en riant.
    L’homme sourit et lui ébouriffa les cheveux. Il se tourna vers les escaliers lorsqu’il entendit des pas qui faisaient grincer les marches. Il put alors voir sa femme bien-aimée, vêtue d’une robe printanière malgré les temps frais, d’un beau vert. Elle avait enfilé des bas blancs montants comme ceux des lepreuchauns et des ballerines vertes. Ses cheveux noirs étaient coiffés en deux queues hautes, comme sa fille. Elle se hâta de venir embrasser encore son mari, tenant dans ses bras un adorable enfant de quatre ans.
    Eaclain sourit en le prenant dans ses bras. Il regarda le t-shirt vert qui lui servait presque de robe tant il était grand pour lui.
    - Kiss me, I’m Irish ?! Rit-il. Je sais qui portait ce t-shirt lorsqu’elle avait quinze ans.
    - Oui, oui ! Ils prétendaient que je n’étais pas une vraie Irlandaise et tu es venu pour me défendre !
    - Oui ! Je ne savais pas qu’en faisant ça, je ferais la chose la plus intelligente de ma vie !
    - Vil flatteur. Rougit-elle.
    Il sourit et l’embrassa doucement avant de poser le jeune bambin dans sa chaise haute. L’enfant attira son assiette à lui et mangea avec appétit en écrasant ses œufs. Eaclain vient lui accrocher son badge en faisant attention à ce qu’il ne se blesse pas avec.
    - Covey, dépêche-toi ! lança Selia dans les escaliers. Tu vas finir en retard !
    Le garçon s’empressa de revenir, vêtu comme un leupreuchaun. Il avait un beau chapeau vert sur la tête et une barbe rousse, qui démangeait, sur son visage.
    - Je peux ? demanda-t-il en levant des crayons à maquillage vert.
    - Ouiiii ! fit Lynn.
    Covey sourit de toutes ses dents. Il vint vers sa sœur et lui fit un trèfle sur la joue. Selia et Eaclain s’assirent pour recevoir le leur en souriant. Ce fut ensuite au tour de son petit-frère qui gonfla ses petites pommettes.
    - On va tous être assortis comme ça ! J’aurais bien fait le drapeau irlandais mais il y a école…
    - Un trèfle, c’est déjà très bien. Sourit Selia.
    - On va à la messe ? chuchota Lynn.
    - Non… On priera ici. La messe ne serait pas faite pour notre Saint Patrick. Répondit-elle en secouant la tête.
    La fillette fit la moue.
    - Fini ! lança Covey.
    - Viens là, p’tit artiste ! sourit Eaclain en lui tendant les bras.
    Le jeune adolescent vint jusqu’à lui. Il lui prit le crayon de maquillage des doigts et lui fit un trèfle sur la joue. Pas aussi bien que ce que Covey avait fait, mais tout de même bien reconnaissable.
    - Et voi. là !
    - Génial ! sourit le petit artiste.
    Il grimpa sur sa chaise et se hâta de manger ce qu’on leur avait fait.
    - Je les emmène à pied, on se rejoint au travail !
    - Promis. Essaie de ne pas trop pincer de gens ! Rit-il.
    - J’essaierais mais moi, je ne peux rien promettre !
    Il sourit de toutes ses dents en l’enlaçant. Chaque jour, il était un peu plus ravi d’avoir uni son cœur à celui de Selia. Il avait déjà vingt-deux ans et plusieurs conquêtes lorsque la sagesse l’avait enfin frappé.
    Il prit la main de son épouse pour l’embrassant.


    Selia revenait, les bras chargés. Si elle avait le souffle court, elle était bien contente de n’avoir aucune chaussure à talon verte. Elle était persuadée qu’elle aurait fini par casser ses chaussures en essayant de porter cette masse.
    Au prix de mille efforts, elle parvint à sa maison et ouvrit la porte. Elle agita la main en direction de sa voisine, Rosemerta Dubois. Celle-ci la dévisagea avec suspicion. Peut-être à cause de sa tenue de petite fille ou de cette façon si enjouée qu’elle avait toujours de s’adresser à elle. Ou encore parce que son sac était transparent et qu’on voyait qu’elle ne ramenait que des pâtisseries vertes et de la Guinness et du whisky à foison.
    Mais Selia se contenta de sourire à cette Rosemerta en sortant ses clés accrochées à une reproduction d’harpe irlandaise typique. Elle ouvrit la porte et rentra avec ses trouvailles. Elle fila dans la cuisine où elle posa ses provisions avant de courir dans le salon où Eaclain regardait Brendan et le secret de Kells avec les enfants. Leur cadet, Nollaig, dessinait avec le matériel de Covey alors que les deux aînés faisaient leurs devoirs. Si Lynn ne devait que faire des suites de mots, le jeune artiste se débattait avec ses mathématiques.
    - J’ai ramené tout ce que je pouvais ! On va faire une fête sensas’ ! s’écria Selia en levant le bras.
    - J’ai ouvert notre carnet d’adresses.
    - Oui, oui, oui ? sourit-elle.
    Elle vint faire la bise à ses enfants et ajusta le badge de Nollaig. Celui-ci sourit et tendit son dessin à sa mère. Elle le prit et le regarda, incapable de définir ce que c’était.
    - Nous n’avons aucun ami en France…
    - Aucun ?
    - Juste des connaissances : les professeurs de nos enfants. Je ne crois pas que ce soit de bon ton de les inviter à une beuverie.
    - Sauf s’ils veulent comprendre pourquoi je n’arrive pas à faire sept fois neuf ! lança Covey.
    Selia rit et lui ébouriffa les cheveux.
    - Qu’est-ce que tu as dessiné Nollaig ?
    - Maman Loutre !
    - Encore… chuchota la mère, troublée.
    - C’est bien les loutres, sourit l’enfant.
    - Oui… dessine d’autres loutres.
    - Oui !
    Nollaig prit un autre crayon et se remit à dessiner des loutres.
    Selia se redressa et se laissa tomber à côté de son époux. Il passa son bras autour de ses épaules et la resserra tout contre lui.
    - Qu’est-ce qu’on fera alors ?
    - Pas grand-chose… quelque chose en famille. Sans alcool. Ajouta-t-il en riant.
    - Ou juste ce soir pour nous. Dit-elle avec un clin d’œil.
    Il sourit en lui serrant les mains dans la sienne.
    - Mes chéris ! Je vais faire du poulet rôti !
    Eaclain retint un rire en songeant que ça, au moins, sa femme ne pourrait pas le rater. Il était plus que ravi que les plats typiquement irlandais devaient souvent mijoter. Tout du moins il y en avait bien suffisamment pour que sa chérie puisse facilement faire des rotations entre les différents mets et qu’il n’ait pas trop à cuisiner, lui qui n’était pas si doué pour la chose.
    - C’est super ! J’ai hâte ! dit Lynn en se frottant le ventre.
    - Vous voulez qu’on prépare quelques gâteaux pour le goûter ?
    - Moi ! fit Nollaig en abandonnant les crayons de son frère.
    Selia sourit et se leva. Elle prit son enfant dans ses bras et l’emmena dans la cuisine. Elle lui donna les cupcakes et muffins verts qu’elle avait trouvés puis toutes les décorations et glaçage. Le garçonnet s’empressa de napper les gâteaux de glaçage ultra-sucré et de merveilles préfaites. Il mettait surtout des trèfles, ayant bien compris qu’aujourd’hui, cette plante était plus qu’importante.
    La femme sourit et lui caressa la tête. Elle regarda ensuite vers le frigo où était affichés la meilleure note de Covey en français, un petit texte que Lynn avait fièrement écrit et un des nombreux dessins de loutre de Nollaig.
    - Le vert c’est bien ! lança le garçonnet en jetant du sucre vert sur les pâtisseries.
    Selia rit encore. Elle lui caressa les cheveux une fois encore puis entama le repas. Elle essayait de savoir être là pour chacun de ses enfants de façon équitable. Mais entre leur âge, leur préoccupation et le travail qu’elle avait, sans oublier son mari, il fallait trouver ce temps. Si elle avait l’impression de ne pas avoir une seconde à elle, elle ne regrettait jamais sa vie. Son mariage et son premier enfant à dix-huit ans, ses études péniblement achevées enceinte du deuxième et les soucis que lui avaient causé le troisième.
    Sa vie n’aurait pas été amusante si tout s’était toujours passé comme elle le souhaitait.
    Elle s’en accommodait d’autant plus que c’était un merveilleux mari qui l’accompagnait chaque jour dans cette longue traversée.
    Elle regarda ses doigts et sourit à son alliance, un anneau d’or gravé d’un « à jamais » et sa bague de fiançailles, cercle plaqué-argent surmonté d’un faux diamant. Banal, peu cher, mais si précieux à ses yeux.


    Selia se laissa tomber à côté de son époux dans le fauteuil, les mains encombrées par deux chopes d’alcool vert. Elle sourit en lui tendit l’une des deux.
    - Merci. Bonne journée, au final ?
    - Bonne journée. Ce n’était pas pareil… Mais c’était bien quand même ! Je me demandais… ce n’est pas « dangereux » ? D’inciter les enfants à prier un jour et pas d’autres… Est-ce qu’ils peuvent comprendre ?
    - Covey est assez âgé et Lynn doit en être capable. Nollaig apprendra plus tard. Mais il s’agit là de traditions plus que de chrétienté… Et ce n’est pas parce que nous sommes croyants qu’ils doivent le devenir. Répondit Eaclain avant de boire une gorgée de Guinness colorée.
    - On aurait quand même dû aller à la Messe… Dieu s’en soucie bien peu qu’on croie en Irlande ou en France. Mais la Messe n’aurait pas été pareille…
    - Tant que tu pries et que tu loues Dieu, il ne te tiendra pas rigueur de ta présence à la Messe ou pas… Notre vie s’est chamboulée au fil des jours.
    Selia sourit faiblement en lui prenant la main. Il la serra entre ses doigts et embrassa son alliance en souriant.
    - Cette année ! On doit montrer à nos voisins français comment on fête Halloween ! Ça, au moins, ils le fêtent !!
    - Il paraît que la Saint-Patrick commence à se fêter ! Il y aurait une parade !
    La femme s’empara de la télécommande et alluma la télévision pour chercher les rediffusions. Elle craignait que la parade se simplifie en beuverie mais elle ne résisterait pas à voir des personnes qui célébraient une fête qui lui tenait tellement à cœur.
    Elle finit par en trouver une qui montrait des danseurs, faisaient des spectacles avec des drapeaux, vêtus de vert de blanc et d’orange. En fond, ils pouvaient entendre les musiques si traditionnelles qui embaumaient toujours leurs cœurs.
    - Tu veux peut-être m’offrir une danse ? sourit Eaclain.Encore une image tiré de la gallerie Clipart de Word !
    Selia sourit et posa sa bière. Son époux l’imita et se mit debout. Il lui prit la main et l’aida à en faire de même. Même s’ils n’étaient que deux, même s’ils étaient un peu bruyants, ils dansèrent en se souvenant de leur pays bien aimé qui resterait à jamais gravé dans leur cœur.
    Passion qui, ils l’espéraient, serait transmise à leur enfant puis à leurs petits-enfants et ainsi de suite. Peu importe qu’ils étaient en France si leur cœur, lui, perdurait en Irlande.


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