• Retournez votre photo, s'il vous plaît

    Retournez votre photo, s’il vous plaît.

     

     

    Zaig était assis sur le perron de l’église, son appareil photographique dans les mains. Il le souleva et pressa sur le déclencheur. Clic. Une image s’afficha sur le cadran de l’appareil numérique. Il préférait les appareils plus archaïque mais il était forcé de reconnaître que les numériques étaient plus rapide.

    Il fixa avec soin l’aperçu de sa photographie. On pouvait voir le magnifique sol dallé en pierre grise. Il y avait également les hautes et coquettes maisons, toutes de couleurs différentes, avec des appuies de fenêtres fleuris.

    Il avait photographié une foule complète de badaud déambulant dans les rues. L’un pour aller chez soi, l’autre pour faire ses courses, certains pour aller travailler et d’autres juste pour se promener.

    Malgré toute cette foule, seule une personne c’était retrouvé affichée sur sa photographie. Une femme d’une trentaine d’année, vêtue d’un tailleur noir avec un pantalon ample. Ses cheveux blonds étaient coupés au carré et ses yeux noisette.

    Zaig sourit.

    - Voyons voir… Quinze heures… et accident domestique.

     

     

    Rosita Smith s’assit sur une chaise dans le coin lecture d’une bibliothèque. Elle lissa la veste de son tailleur pour la cinquième fois au moins. C’était là son premier entretien d’embauche de toute sa vie. Elle avait vingt-neuf ans, après vingt-six années d’études et trois années, dont une d’attente, sur le chômage, elle pourrait enfin prendre sa liberté.

    Elle pourrait cesser de vivre chez ses parents.

    - Mademoiselle Smith ?

    Rosita se leva. Elle vint près de la bibliothécaire mais elle se figea. Une impression désagréable venait de l’assaillir. Elle avait des frissons, des sueurs froides qui coulaient le long de son dos.

    Elle tourna vivement la tête pour fixer un endroit précis. Elle aurait juré que, là-bas, quelqu’un l’observait. C’était effrayant !

    - Mademoiselle Smith, un souci ?

    - N… Non. Pardon.

    Elle afficha un maigre sourire. Elle se sentait vraiment mal en cet instant. Elle essaya toutefois de l’ignorer et elle prit place face à elle de l’autre côté du comptoir.

    La femme entama alors l’entretien. Rosita essayait de rester calme. Elle avait attendu trop longtemps pour laisser la chance lui échapper.

     

     

    Zaig s’appuya contre le mur. Il lança un regard par-dessus son épaule pour voir Rosita qui était en train de passer son entretien d’embauche. Il retint un ricanement dédaigneux puis repassa en revue ses photos. Il y en avait des vides, d’autres avec une ou deux personnes. Certaines contenaient même des enfants, des vieillards ou des animaux.

    Il désactiva son appareil photographique et le glissa dans son sac de transport. Il ferma les yeux et attendit.

    Il ne les rouvrit qu’à un instant précis. Celui où la porte pivota à côté de lui, brassant de l’air glacé. Il eut le temps de voir Rosita sourire de toutes ses dents. Elle était toute guillerette.

    Zaig attendit qu’elle s’éloigne avant de se mettre en marche à son tour.

    - C’est bien fâcheux qu’il faille que ça t’arrive maintenant…

     

     

    Rosita se tourna vivement, ayant toujours cette même et désagréable impression. Elle remarqua alors cet homme. Elle l’avait entraperçu sur les marches de l’église déjà. Elle l’avait également vu la suivre plus d’une fois. C’était inquiétant. Pourquoi cet homme étrange la suivait depuis tout ce temps ? Elle qui n’avait rien de particulier.

    - Que voulez-vous ? cria-t-elle.

    Elle porta sa main à son sac pour y récupérer une bombe de spray au poivre. C’était le seul moyen de défense qu’elle avait. Elle espérait bien que ce serait suffisant.

    - Voir, c’est tout.

    - Un voyeur ?! siffla-t-elle.

    Elle aspergea l’homme du contenu de son aérosol puis s’enfuit en courant. Elle n’avait jamais été aussi rassurée d’entendre quelqu’un pousser un cri de douleur.

    Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.

    Si elle fut rassurée de le voir se tenir le visage, plié en deux, elle s’empressa quand même de courir. Il fallait qu’elle rejoigne le poste de police le plus proche.

    L’angoisse lui tordait les boyaux.

    Elle qui avait été si contente de finalement avoir un travail voyait son bonheur entaché. Elle pouvait prendre sa liberté mais elle se faisait harcelée par un quelconque pervers. Elle était peu habituée à autant de malchance.

    C’est ainsi qu’elle pénétra dans le commissariat. Le bâtiment était rassurant au moins.

    Le pervers ne se risquerait jamais à la suivre ici. C’était réconfortant.

     

     

    Zaig se frotta les yeux. Il pesta contre la femme qui avait osé l’aspergé allégrement du spray.

    Ses yeux étaient ce dont il avait le plus besoin. Après tout, il était photographe. Que ferait-il sans eux ? On n’avait encore jamais vu de photographe aveugle. Ça aurait été amusant de voir ce qu’un malvoyant aurait pu faire avec un appareil photographique. Mais là n’était pas la question.

    Il se redressa, les globes oculaires rougis mais moins douloureux.

    Il leva la main. Un délicat moineau se posa sur son index. Il lissa les plumes de son dos avec son bec puis fixa l’homme.

    - Où est-elle partie ? s’enquit-il.

    Le volatile décolla et le guida jusqu’au poste de police. Zaig grogna puis suivit la petite bête. Il ne prit même pas la peine de le remercier qu’il se glissa dans une ruelle sombre. Il ne tenait pas à se faire encore une fois agressé par Rosita.

    Il patienta une heure complète avant que la femme ne sorte de la grande bâtisse. Elle regarda autour d’elle avant de partie en courant. Elle ne semblait plus vouloir prendre le risque de se faire suivre par qui que ce soit. C’était sans doute une des raisons pour laquelle elle regardait fréquemment au-dessus de son épaule.

    Zaig eut un sourire mauvais.

    Au moins, elle connaissait la peur. Il n’était pas habituel qu’il désire de cela mais il ne tolérait pas qu’on le blesse. Surtout au niveau de ses magnifiques yeux d’une étrange couleur orange.

     

     

    Rosita arriva à la maison. Soulagée, elle ouvrit la porte de son chez-elle. Elle se glissa à l’intérieur et soupira.

    - Maman ! Papa ! Je suis rentrée ! cria-t-elle.

    - Quel plaisir ! sourit son père en venant à son encontre.

    Il la prit chaudement dans ses bras, un large sourire étirant ses lèvres. Elle se blottit contre lui. Être tout contre son père était encore plus rassurant que se trouver sous la protection d’un poste de police. La paternité était une chose bien étrange.

    - Tu as été embauchée, j’espère ? lui parvint la voix de sa mère.

    Rosita eut un sourire un peu triste. Mais elle comprenait sa génitrice. Cela faisait quand même vingt-neuf ans qu’elle vivait chez eux. Ils avaient déjà soixante ans et devaient toujours la supporter.

    - Oui maman ! Je commence lundi. Et promis… dès que j’ai ma paie, je me trouve un appartement.

    - Parfait, sourit la mère.

     

     

    Zaig regarda l’heure sur la grande horloge de l’église. 13 : 26.

    Cela faisait un peu plus de trois heures qu’il suivait la pauvre femme.

    Des piaillements attirèrent l’attention du jeune homme. Il leva les yeux. Il sourit en remarquant une masse compacte entourée de flamme qui fonçait vers un endroit précis : la maison de Rosita elle-même.

    - On dirait que j’ai raté mon défi, remarqua-t-il, un air défaitiste sur le visage.

     

    La comète percuta violemment la maison de Rosita, transformant la demeure agréable en enfer. Les briques volaient de toutes parts, le feu prenait en de nombreux foyer, les cris résonnaient dans l’air.

    Les pompiers furent immédiatement appelés et les sirènes s’ajoutèrent au fracas assourdissant.

    Zaig sortit son appareil photographique et prit un dernier cliché.

    - Rosita Smith, morte le mercredi 9 juillet 2014, à 13 : 29. Elle m’en aura causé des soucis celle-là.

    Il soupira une dernière fois puis repartit vers chez lui.

    Peut-être qu’il prendrait d’autres clichés en chemin. En espérant que les prochaines personnes à mourir seraient moins énervantes.

     

    © Angelscythe 2014


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